Capsule 1.92

Sebastián
Dávila

Capsule 1.92

14.06 — 06.07.24
Vernissage: 

jeudi 13 juin dès 16h

Caiman Crocodilus : Ce sont des “espèces de caïmans momifiés”.  Pourtant, ce ne sont pas des Dieux crocodiles. En Egypte antique - en particulier dans la ville de Schedît - les crocodiles étaient vénérés à travers la figure du dieu Sobek; si bien que les crocodiles étaient momifiés à son effigie. Malgré la proximité iconographique, ce n’est pas à cette tradition que le travail de Sebastián Dávila se réfère. En effet, l’artiste invoque un phénomène contemporain à l’oeuvre à Porto Rico: l’arrivée massive et inopinée de caïmans.

 

Le crocodile est l'emblème des hypocrites, des avares et des luxurieux. Gonflés de la bave de l'orgueil, souillés par la lèpre de la luxure, possédés d'une avarice malsaine, ils continuent cependant à s'avancer fièrement parmi les hommes, en faisant mine d'observer fidèlement leurs lois[1].

 

Promenés jusqu’à l’île par des courants houleux ou importés par des individus avides d’illustrer leur pouvoir à travers un animal de compagnie excentrique et dangereux, les caïmans font aujourd’hui partie de ce qu’on appelle les espèces invasives de l’île. A travers les siècles, l’écosystème de Porto Rico a enduré un grand nombre de modifications; les plus conséquentes et radicales d’entre elles ayant probablement été celles occasionnées par la colonisation espagnole.

 

De même que le crocodile demeure pendant la nuit dans l'eau, ces hommes mènent en secret une vie dissolue... Du haut de leur bouche ils prêchent l'exemple et les salutaires enseignements de nos ancêtres, et font ainsi croire qu'ils les suivent. Mais la partie inférieure de leur bouche reste raide, car ils ne mettent jamais leurs paroles en pratique[2].

 

Entretenant une relation controversée avec les crocodiles, les humains ont, sûrement par instinct de survie, revêtu une certaine hostilité a priori envers eux, qui les a menés à tantôt les diaboliser tantôt les déifier en espérant détourner leur violence en protection. Si l’on cherche crocodile on nous dira > voir dragon > voir léviathan > voir enfer. Sa gueule est la porte des limbes. Par ailleurs, dans la mythologie aztec, le “Cipactli” - signe représenté par une figure ressemblant à un alligator - promettait fécondité, richesse et puissance.

 

Pour l’artiste, la présence indésirée de ces petits alligators à Porto Rico met le doigt, d’une part, sur l’impact que nos choix d’humains peuvent avoir sur nos environnements et, d’autre part, sur la tension des éléments invasifs vs. “intégrés” d’une colonie. Si le caïman est invasif aujourd’hui, il sera peut-être “criollo”[3] demain. Cette transition, d’ordre purement spéculatif, pourrait devenir réalité vu l’engouement récent pour la cuisine de chair de caïman. Joindre l’utile à l’agréable! Alors qu’un grand nombre d’aliments, notamment de première nécessité, sont importés sur l’île, ces nouvelles habitudes culinaires pourraient ouvrir la voie vers une potentielle souveraineté alimentaire de Porto Rico.

 

Si un portrait si sombre est dressé de ces grands lézards, j’ose littéralement me faire l’avocate du diable. Et si leurs larmes étaient réelles? Ici, leur apparat saucissonné, anthropomorphé, mi-avachi, mi-pendu nous autorise en tout cas une autre lecture. Sur terre depuis des millions(!) d’années, ils vivent une époque dans laquelle la globalisation permet des déplacements probablement inégalés auparavant et des situations pour le moins incongrues comme celle de se retrouver dans le salon d’un riche oligarque ou mafieux sous forme d’animal de compagnie ou transformé en pantoufles Hermès. Il y a effectivement de quoi pleurer.

 

Katia Leonelli



[1] UNTERKIRCHER, cité d’après CAZENAVE, Michel, “Crocodile”, Encyclopédie des symboles, Librairie générale française, Paris, 1996, p. 174.

[2] Idem, p. 175-176.

[3] Criollo est un terme signifiant “élevé dans”, désignant notamment les enfants d’Espagnols (nés et) ayant grandi à Porto Rico.

 

Horaires: 

Capsule visible 24/7 depuis le passage des Halles de l'Ile